Après la hausse de 75 points de base décidée aujourd’hui par la Fed, on observe que les membres du FOMC ont considérablement révisé à la hausse leurs projections pour le taux directeur : alors que la prévision centrale pour le taux directeur (cible pour le taux Fed Funds) à la fin de 2022 était de 3,25% en juin, elle est désormais de 4,25%, soit 100 points de base de resserrement supplémentaires attendus par les membres du FOMC d’ici la fin de l’année ! (le graphique ci-dessous montre les projections des membres du FOMC en juin 2022 (à gauche) et en septembre 2022 (à droite))
Pour fin 2023, en 3 mois, la projection médiane des membres du FOMC est passée de 3,75% à 4,75% : en d’autres termes, les membres du FOMC n’anticipent pas seulement un resserrement monétaire plus rapide, mais aussi plus durable, pour faire rebaisser l’inflation vers sa cible de 2%. Pour fin 2024, la projection médiane passe en 3 mois de 3,0% à 3,5%.
En revanche, les membres du FOMC n’ont pas changé d’avis sur le niveau du “taux neutre” (le taux d’équilibre de long-terme) aux USA : toujours 2,5%. Si les marchés partagent cette opinion des membres du FOMC, cela devrait stabiliser les rendements obligataires longs américains, quel que soit le rythme du resserrement monétaire à venir ces prochains mois. Cela semble confirmé par l’évolution du rendement à 10 ans des Treasuries après l’annonce de la Fed : il a baissé de plus de 5 points de base.
Si l’on compare la projection actuelle des membres du FOMC sur le taux directeur avec celle de fin 2021, le changement est spectaculaire (bien sûr l’invasion de l’Ukraine est passée par là) :
En 9 mois la projection pour fin 2022 est passée de moins de 1% à 4,25% ! En revanche, on voit que la projection des membres du FOMC pour le taux neutre semble, à tort ou à raison, solidement ancrée à 2,5%.
Les marchés sont-il convaincus par ces projections des membres du FOMC ? On peut en juger en regardant les futures Fed Funds, dont le prix est égal à 100 moins le taux Fed Funds anticipé dans le futur :
On voit que le marché anticipe un taux Fed Funds de 100 - 95,93 = 4,07% pour la fin 2022, en ligne avec les projections du FOMC. Le marché anticipe que le taux Fed Funds atteindra un pic de 100 - 95,41 = 4,59% en avril 2023, avant de rebaisser doucement à 100 - 95,72 = 4,28% fin 2023 (à nouveau en ligne avec les projections du FOMC). Le communiqué du jour de la Fed a un impact certain sur les anticipations du marché : 17 points de base de resserrement supplémentaire attendu par le marché en 2023.
Pour les anticipations de politique monétaire de plus long-terme aux USA, je préfère regarder les futures sur les taux Eurodollar à 3 mois :
On observe que le communiqué de la Fed a entraîné un renforcement des anticipations de resserrement monétaire pour 2023 et 2024, mais à l’inverse une anticipation de taux un peu plus bas au-delà de 2025 (d’où la baisse des rendements obligataires longs sur les Treasuries aujourd’hui) : un effet pas forcément recherché par la Fed (à mon avis), car cela atténue (un peu) l’impact économique de la hausse des taux annoncée aujourd’hui !
Dans un contexte économique et géopolitique incertain (avec désormais un chantage ouvert à l’utilisation de l’arme nucléaire), les anticipations d’inflation de long-terme sont remarquablement stables : l’inflation anticipée par le marché à 5 ans dans 5 ans (c’est-à-dire actuellement sur la période 2027-2032) restent très stables et proches de la cible de 2% de la Fed :
En d’autres termes, au-delà de la volatilité transitoire (et essentiellement liée à des facteurs exogènes : pandémie et guerre en Ukraine), le marché fait confiance à la Fed pour ramener graduellement l’inflation vers sa cible.
On observe a contrario que les décrochages les plus sérieux des anticipations d’inflation de long-terme (en 2008-2009 sur fond de crise systémique et en 2020 sur fond de pandémie) ont été à la baisse = craintes de déflation. Cette asymétrie dans les craintes du marché sur la capacité de la Fed à ramener l’inflation vers sa cible est justifiée à mes yeux : il est beaucoup plus facile pour une banque centrale de vaincre une inflation excessive qu’une déflation qui s’enracine (cf. le cas du Japon).
Passons rapidement en zone euro, où la BCE vient aussi de remonter son taux directeur de 75 points de base. Je tire les deux graphiques ci-dessous d’une présentation récente du “chef économiste” de la BCE, Philip Lane (je recommande la lecture de ses discours et présentations, souvent pédagogiques).
La BCE utilise différentes sources pour suivre les anticipations d’inflation :
les indicateurs de marché, notamment les rendements des obligations indexées sur l’inflation, comme les OATei et OATi françaises, et les swaps indexés sur l’inflation (ILS, inflation-linked swaps)
les enquêtes auprès des économistes et prévisionnistes (SMA, Survey of Monetary Analysts)
les sondages auprès des consommateurs (CES, Consumer Expectations Survey)
On observe sur les deux premières mesures le même profil qu’aux USA : les marchés tout comme les économistes attendent une inflation élevée en 2022 et 2023, avant un retour graduel à la normale (la cible de 2% de la BCE) en 2024.
En revanche, on observe que l’inflation courante très élevée en Europe actuellement commence à avoir un effet de “désancrage” sur les anticipations d’inflation de long-terme des consommateurs (même s’il s’agit d’un impact modeste pour l’instant) : nul doute que la BCE sera très attentive à cette alerte.
Comme aux USA, on peut aussi observer les anticipations de politique monétaire pour la BCE : celles du marché (la courbe des taux €STR (euro short-term rate) forward) et celles des économistes (SMA) :
On observe que le marché et les économistes anticipent un resserrement monétaire par la BCE avec un taux directeur qui culminerait à 2,75% (contre 1,25% actuellement) vers la mi-2023 : soit 150 points de base de resserrement attendus pour la BCE. Ensuite, les marchés prévoient un assouplissement très graduel, vers 2% en 2025.
On peut aussi suivre au jour le jour les anticipations de taux en zone euro grâce aux futures Euribor. On y voit aussi que le marché anticipe environ 98,44 - 96,93 = 151 points de base de resserrement monétaire par la BCE d’ici la mi-2023.
En résumé : aux USA comme en zone euro, on attend non seulement un resserrement monétaire accéléré, mais aussi plus durable qu’anticipé auparavant, sur fond de crises (Ukraine…) et d’inflation persistantes… sans toutefois que les marchés ne perdent leur foi dans la capacité des banques centrales à finalement vaincre cette poussée inflationniste. (Car les guerres, les dictateurs, tout comme les pandémies, ne sont heureusement que des problèmes transitoires !)
C'est interessant mais en quoi les attentes des marchés ont une valeur de premonition? Elles ont eu faux sur l'inflation en 2021, 2022. Meme si je pense comme les anticipations actuelles a une inflation surtout exogene.
article fouillé dont je ne partage pas la conclusion: les marchés n'ont pas la "foi dans les banques centrales" ,ils ont tout simplement peur d'envisager que la lutte contre l'inflation est perdue depuis plus d'un an par manque de réactivité et que la récession qui s'amorce sera tout sauf courte et transitoire...